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jeudi 03 mars 2011

Politique du renonçant : le dernier Rousseau (des Dialogues aux Rêveries), de Jean-François Perrin


Paris : Editions Kimé,
Coll. "Détours littéraires", 2011.
EAN 9782841745463. Prix : 30 €

Présentation

Il arrive qu'un auteur croie avoir raté une oeuvre. Il arrive que le temps dévoile le génie de cet échec. C'est sans doute ce qui se révèle pour nous à l'égard de Rousseau juge de Jean-Jaques (1772-1776) : car s'il y a quelque chose d'intenable dans la stratégie énonciative compliquée de ce texte, c'est que Rousseau y affronte l'impéritie des formes disponibles, relativement à ce qu'il entend saisir de lui-même comme un autre dans le ressassement de la rumeur – soit le jugement de l'opinion publique à l'époque de sa coagulation historique. Si nous voulons saisir ce qui dans ce texte nous concerne aujourd'hui, nous devons nous rappeler que, pour leur auteur, rien de ce qui touche aux moeurs des nations n'échappe à la dimension du politique ; or si « trouver une forme qui exprime le gâchis » (Beckett) s'avère la tâche de l'artiste, tout essai authentique dans cette direction s'ouvre à l'épreuve de l'informe. Cependant la défaite recèle des trésors : lucidité du renonçant, privilège du silence et de la sécession. L'expérience du Promeneur solitaire s'ancre là où la perte vertigineuse de la communauté est radicalement convertie en savoir tragique de l'humain, savoir à la fois sans âge (celui du gnôthi seautón) et moderne absolument (Rousseau fut la conscience critique des Lumières). Car si le détachement radical à l'égard des autres est bien une donnée irréductible et fondatrice de la situation d'écrire-vivre, l'entreprise de connaissance de soi rencontre néanmoins à sa source la question du rapport à autrui, de sa genèse, de sa transformation. La réactivité du dernier Rousseau à ce reflux vers son oreille de sa pensée désormais médiatisée, son attention à ce qui par là lui vient comme son propre inconnu (fût-il dénié sous les espèces de la défiguration), signalent finalement que l'entreprise ne se soutient que d'inscrire et de réfléchir une écoute profonde des logiques régissant le discours public – par où l'écriture se fait sismographe d'une époque où se profile la nôtre.

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mercredi 07 juillet 2010

Je ne suis pas un livrier : Rousseau et l’expérience littéraire

Jean-François Perrin
Conférence à l’Espace Malraux, Chambéry, 28 juin 2010
lors de la rencontre organisée par la Région Rhône-Alpes
pour la préparation du tricentenaire

La formule dont j’ai intitulé cet exposé est une paraphrase d’un propos tenu par un personnage nommé « J.J », où Jean-Jacques Rousseau se représente lui-même dans un de ses derniers ouvrages intitulé Rousseau juge de Jean-Jaques ; son interlocuteur, à cet endroit du texte, lui demande pourquoi il persiste à vivre pauvrement, alors qu’il pourrait très bien s’enrichir en faisant des livres. C’est alors que J.J lui répond ceci : « Pourquoi vouloir que je fasse encore des livres quand j'ai dit tout ce que j'avais à dire, et qu'il ne me resterait que la ressource trop chétive à mes yeux de retourner et répéter les mêmes idées? […] Ceux qui ont la démangeaison de parler toujours trouvent toujours quelque chose à dire ; cela est aisé pour qui ne veut qu'agencer des mots ; mais je n'ai jamais été tenté de prendre la plume que pour dire des choses grandes neuves et nécessaires, et non pas pour rabâcher. J'ai fait les livres, il est vrai, mais jamais je ne fus un livrier. »

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lundi 21 juin 2010

L’exigence d’authenticité

Université Stendhal-Grenoble 3
18-21 octobre 2012

Colloque
accompagné d’un cycle de conférences (automne-hiver 2012)

Manifestation organisée par Yves Citton et Jean-François Perrin
(Université Stendhal et UMR Lire 5611)
dans le cadre de la célébration de Rousseau 2012 à Grenoble


L’expérience de Rousseau


De quelle définition de l’« authenticité » peut-on se réclamer aujourd’hui ? Tout le monde en parle sous les nouvelles appellations de traçabilité, d’AOC ou de « bio », mais qui y croit et pour quelles raisons ?
Certains penseurs se sont avisés de la prégnance contemporaine de cette « culture de l’authenticité » (Charles Taylor) pour y repérer un produit de ce que le XVIIIe siècle français a visé sous la catégorie du « sentiment de l’existence » : la coïncidence de soi à soi comme expérience sensible de coexistence au Tout de la Nature (créée ou non) passerait alors pour le fondement de toute justesse morale possible.
C’est, dès les années 1770, en critique de la société du spectacle que Rousseau écrit ses œuvres autobiographiques : dans l’opinion publique en formation qu’il observe à son époque, il voit se dessiner en filigrane l’impérialisme d’une médiasphère universelle dont le système de représentations a vocation à identifier radicalement l’être à l’apparence.
Ce qui se joue là, c’est la question absolument politique de la liberté, une liberté que Rousseau a pensée comme le propre de l’espèce humaine et dont il a expérimenté l’exigence en refusant d’asservir son génie à aucune nécessité émanant des contraintes et convenances sociales : « la cause de cet invincible dégoût que j’ai toujours éprouvé dans le commerce des hommes (…) n’est autre que cet indomptable esprit de liberté que rien n’a pu vaincre » (Lettres à Malesherbes).

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