Politique du renonçant : le dernier Rousseau (des Dialogues aux Rêveries), de Jean-François Perrin
Par administrateur le jeudi 03 mars 2011, 10:31 - Édition
Paris : Editions Kimé,
Coll. "Détours littéraires", 2011.
EAN 9782841745463. Prix : 30 €
Il arrive qu'un auteur croie avoir raté une oeuvre. Il arrive que le temps dévoile le génie de cet échec. C'est sans doute ce qui se révèle pour nous à l'égard de Rousseau juge de Jean-Jaques (1772-1776) : car s'il y a quelque chose d'intenable dans la stratégie énonciative compliquée de ce texte, c'est que Rousseau y affronte l'impéritie des formes disponibles, relativement à ce qu'il entend saisir de lui-même comme un autre dans le ressassement de la rumeur – soit le jugement de l'opinion publique à l'époque de sa coagulation historique. Si nous voulons saisir ce qui dans ce texte nous concerne aujourd'hui, nous devons nous rappeler que, pour leur auteur, rien de ce qui touche aux moeurs des nations n'échappe à la dimension du politique ; or si « trouver une forme qui exprime le gâchis » (Beckett) s'avère la tâche de l'artiste, tout essai authentique dans cette direction s'ouvre à l'épreuve de l'informe. Cependant la défaite recèle des trésors : lucidité du renonçant, privilège du silence et de la sécession. L'expérience du Promeneur solitaire s'ancre là où la perte vertigineuse de la communauté est radicalement convertie en savoir tragique de l'humain, savoir à la fois sans âge (celui du gnôthi seautón) et moderne absolument (Rousseau fut la conscience critique des Lumières). Car si le détachement radical à l'égard des autres est bien une donnée irréductible et fondatrice de la situation d'écrire-vivre, l'entreprise de connaissance de soi rencontre néanmoins à sa source la question du rapport à autrui, de sa genèse, de sa transformation. La réactivité du dernier Rousseau à ce reflux vers son oreille de sa pensée désormais médiatisée, son attention à ce qui par là lui vient comme son propre inconnu (fût-il dénié sous les espèces de la défiguration), signalent finalement que l'entreprise ne se soutient que d'inscrire et de réfléchir une écoute profonde des logiques régissant le discours public – par où l'écriture se fait sismographe d'une époque où se profile la nôtre.
Table des matières
Avant-propos
INTRODUCTION
PREMIÈRE PARTIE. Soi comme autre : un dispositif de travail
Chapitre 1. Le procès de soi
Chapitre 2. Former un lecteur
Chapitre 3. Le cas « J.J. » : ethnographie d'un sauvage éclairé
DEUXIÈME PARTIE. Politique(s) des Dialogues
Chapitre 4. Penser l'hégémonie
Chapitre 5. Penser l'interprétation
Chapitre 6. Homo sacer : le monstre et la cité
TROISIÈME PARTIE. L'incessant : des Dialogues aux Rêveries
Chapitre 7. Comme un roman : vers le Promeneur
Chapitre 8. L'automate contemplatif
Chapitre 9. La vérité au risque du mensonge: la Quatrième Promenade
Chapitre 10. Abstine ?
Chapitre 11. Méditer la rumeur : une écoute politique
CONCLUSION. Retour amont
ANNEXE:
I. Storytelling sous Louis XVI : luttes pour l'hégémonie sur le cadavre de Rousseau (1778-1798)
II. Manuscrits et imprimés : divagation générique
III. À propos de la réception de Rousseau juge de Jean-Jaques (XVIIIe-XXIe siècles)
Jean-François Perrin est professeur de littérature française (XVIIIe siècle) à l'Université de Grenoble. Il a publié : Le Chant de l'origine, la mémoire et le temps dans les Confessions de Jean-Jacques Rousseau (Oxford, SVEC, 1996) ; Rousseau, Lettres philosophiques (édition critique), « Classiques de poche », 2003 ; J.-J. Rousseau : La reine Fantasque (édition critique), in Hamilton et autres conteurs (Champion, 2008), ainsi qu'une trentaine d'articles sur les écrits et la pensée de Rousseau. Il prépare une édition critique des Lettres à Malesherbes, de la Lettre à M. de Saint-Germain et des Dialogues, dans le cadre de l'Édition chronologique complète des oeuvres de J-J. Rousseau en cours de publication aux Classiques Garnier.