Irréductibles
Où comment et seulement en une vingtaine de pages un écrivain rencontre un écrivain
C’est un texte dur, qui court. C’est un texte court, qui dure. Un portrait qui tient de l’autoportrait, majestueux en diable, plein de mots forts et de plaisirs déliés, dédiés.
L’irréductible, c’est bien sûr Rousseau, le chenapan-citoyen de Genève qui, tel un Rimbaud inverse, s’enfuit dans les lettres pour ne plus avoir à voir les êtres. Pour parvenir à ses fins, Rousseau abandonne tout : la rhétorique, les coteries, les princes et j’en passe. Il devient le promeneur, seul, comme il y a un seul penseur, celui de Rodin. Ce n’est pas un choix que d’être irréductible, c’est un destin. La mainmise de l’âme sur le corps.
Le texte de Bourg s’élabore ainsi, entre l’esquisse et l’esquive, va très vite à l’existentiel pour ne pas perdre l’essence. Rousseau est toujours saisi au plus loin, par morceaux détachés : des autres, de son siècle, de lui, de l’univers. La liberté est à ce prix : n’avoir point d’appartenance, de propriétés. Briller d’un argent autre que l’argent, être finalement livré à soi-même et « jouissant de cette disponibilité ».
« Le Rousseau que j’évoque, mon Rousseau… » : voilà Bourg qui vend la mèche au détour d’une phrase, concédant que Jean-Jacques, ce vaurien qui le vaut bien, lui colle à la peau. L’irréductible c’est lui, l’irréductible c’est moi. Ils se sont rencontrés à la « croisée des chemins », quelque part dans le Pilat. Ils ont vagabondé de concert. Marché de conserve. « Marchant, tout s’avive. La pensée, les sensations, la certitude à maints égards irrationnelle de s’unir au dehors… » Cela a peut-être un autre nom : écrire. « Écrire. Disparaître. Renaître ».
Il faut savourer ces 21 pages - 630 lignes de liberté cherchée et retrouvée. Il en va du bonheur de lire et d’aimer. Un homme. Une façon d’être. De penser. De rêver. Il paraît que ce petit livre contient en germe un autre livre, à paraître en janvier 2012 : La Croisée des errances. On l’attend avec encore plus d’impatience.
L'Irréductible
Éditions La Passe du vent
32 p., 3 €
ISBN 978-2-84562-189-5
À paraître également aux Éditions La Passe du vent en janvier 2012 :
- Rousseau au fil des mots. 10 mots, 10 écrivains, 100 citations. Collectif
Avant-propos de Xavier North et Jean-Jack Queyranne. Introduction d’Éliane Baracetti.
“À sa manière ce livre est un herbier, comme les aimait l’auteur des Confessions. Il nous propose un bouquet de cent citations tirées de l’oeuvre de Rousseau, et dix belles fleurs – les dix textes d’auteurs contemporains rédigés autour et à partir des dix mots de la Semaine de la langue française et de la francophonie”. - Xavier North
- Essai sur l’origine des langues. Jean-Jacques Rousseau
Introduction d’Abraham Bengio.
“Il nous reste désormais ses livres. Et c’est à nous qu’il incombe aujourd’hui, sinon de répondre à l’appel de Jean-Jacques, du moins de méditer la leçon de Rousseau. Pour cela, je ne sais rien de plus efficace que l’Essai sur l’origine des langues.” - Abraham Bengio
- Citoyen Rousseau. Boîte postale Les Charmettes. Correspondances. Collectif
Préface de Lionel Bourg – réédition Paroles d’Aube, 1997.
Le Festival du Premier Roman de Chambéry demande à ses auteurs d’écrire une lettre à Rousseau et déniche dans la volumineuse Correspondance du philosophe la lettre qu’il eût pu envoyer en réponse.
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