Lionel Bourg
Carnet de route

En résidence itinérante sur les pas de Jean-Jacques Rousseau, Lionel Bourg nous livre, après Jean-Jacques..., quelques pages de son Carnet de route. D'autres suivront, au rythme de l'aventure.

Mon âme morte à tous les grands mouvements ne
peut plus s’affecter que par des objets sensibles ; je n’ai
plus que des sensations, et ce n’est plus que par elles que
la peine ou le plaisir peuvent m’atteindre ici-bas.

Jean-Jacques Rousseau
(Rêveries, Septième promenade)

   Pilat
  Les martinets et les quelques hirondelles qui girent au-dessus de moi, ce soir, me conduisent incidemment et comme au fil du rasoir très affûté de leurs ailes à Jean-Jacques, lequel hébergeait des oiseaux, les accueillant avec l’humilité bienveillante d’un frère.
  Il fait beau.
  Les derniers jours de juin, qui m’apaisent, se dépouillent des pluies envahissantes des semaines antérieures.
  Je vais d’un bon pas.
  M’étends un instant sur l’herbe du talus bordant le chemin qu’emprunta Rousseau, non loin de Condrieu.
  Le Pilat me domine. M’attire ou, c’est ravissement neuf toujours depuis bien des années, aimante la limaille de mes plus anciens songes.
   L’air est pur. Plus transparent que de coutume.
   Je n’en contemple qu’avec davantage d’avidité les sommets tout là-haut, bleuâtres, violacés à cette heure matinale, scrutant la masse indistincte parfois et presque vaporeuse des versants scarifiés de pierraille.
   Crêt de la Chèvre. Crêt de la Perdrix.
   Sept, huit heures de marche.
   Avant, ce sera le beau village de la Chapelle-Villars, ses maisons groupées autour de l’église sur cette sorte de gradin, de plateau incliné que protègent des froids les monts Monnet et Ministre. La Croix de Montvieux ensuite. Le col de Pavezin. Doizieu enfin, par où l’on accède au Crêt de l’Œillon et à la lande mourant près des pâturages de la Jasserie, où Jean-Jacques ne trouva guère le sommeil.