Lionel Bourg
Carnet de route (4)

     Vallée du Rhône
     De Lyon jusqu’aux quais d’Avignon, le coche d’eau assurant la liaison fluviale ne devait pas être bateau d’agrément quand Rousseau navigua à son bord.
     Remous, tourbillons, courants plus musculeux qu’ils ne le sont encore, les barques à fond plat chaviraient çà et là, les bateliers n’évitant pas toujours les pièges d’un Rhône qui, canalisé, assagi, ses bras morts embourbés sous des taillis où n’éclosent que les fleurs des sacs publicitaires de la grande distribution, n’a maintenant que des fureurs intermittentes.
     Jean-Jacques n’est pas Faulkner.
     Ni Melville ni Thomas Wolfe. L’espace qu’il dépeint garde partout la mesure de son pas. Il a besoin de sources, de calmes étendues que ride à peine le souffle d’une brise rafraîchissante. Besoin de ruisseaux, de rivières.
     Il eût été perdu près du Mississippi, à Jefferson ou par les collines boisées de pins du comté d’Yoknapatawpha.


     Bourg-Saint-Andéol
     Dans le Grand Jardin du palais des Évêques, la fontaine de Neptune ne bouillonne plus et le souverain de la mer, amputé d’un bras et d’une jambe, règne sur les eaux verdâtres du bassin sous l’apparence d’un maître au corps pansé de plaques métalliques tant bien que mal assujetties.
     Le parc n’en est pas moins fort beau. Fort agréable aussi.
     J’y cueille une figue, succulente, flatte la crinière d’un lion de pierre, me disant que ces nobles allées, et le Dieu Mithra qu’encadrent les sources vauclusiennes, l’église romane ou les opulentes demeures comme leurs carrés de nature domestique eussent probablement retenu Rousseau s’il avait fait halte afin de poursuivre son idylle avec Mme de Larnage.