La force du sentiment
Par administrateur le jeudi 23 février 2012, 09:47 - Édition
Né d’une commande de la Région Rhône-alpes, La Croisée des errances, sous-titré « Jean-Jacques Rousseau entre fleuve et montagnes », est avant tout un livre de Lionel Bourg, plein d’une lancinante poésie, où il fait bon s’aventurer. On y suit passionnément l’auteur qui, lui-même, a mis ses pas dans ceux de Jean-Jacques. Une émouvante cordée.
Rousseau, ici et maintenant ! C’est à cette manière de commémoration, impertinente et vive, que Lionel Bourg convie son lecteur, n’hésitant pas à faire le tour de la statue du grand homme pour montrer ce qu’il y a derrière, faire visiter, apprécier les paysages, chercher coûte que coûte à entendre battre le cœur de Jean-Jacques. Celui de Lionel Bourg s’ouvre grand, dès le début de cette marche littéraire et biographique : « J’aime Rousseau. » Voilà qui est dit. Avis aux grincheux et autres défenseurs de l’icône. Ce Rousseau-là est le sien…
Il y a sa façon de marcher et de penser à la fois, de trouver refuge dans les montagnes du Pilat ou d’ailleurs, une forme de solitude bienfaisante sous le prétexte d’herboriser. Il y a aussi l’aversion pour les puissants, « cette indignation qu’aucun baume n’apaise », la propension à l’insubordination autant qu’à la rêverie, la passion pour la langue, le goût éperdu de la liberté, cette philosophie de gueux, que Voltaire lui reproche, et puis, plus que tout, une inadéquation au monde, quelque chose qui cloche à l’intérieur, là, sous la peau. C’est cela surtout qui rapproche Lionel de Jean-Jacques.
Attention, l’écrivain d’aujourd'hui (et de Saint-Étienne) sait se tenir à sa place ! Jouer à Jean-Jacques, ce n’est pas son genre, loin de là. Il le suit, pas à pas le respire, cherche à le deviner, l’accompagne sur les routes, dans les villes, les jardins et les bois, l’empathie en guise de boussole. C’est beau, une écriture, lorsque cela s’enroule délicatement autour de la connaissance, lorsque la phrase, savante et sensible, conduit à la communion – républicaine, il s’entend ! Là est le tour de force réussi par Lionel Bourg : nous présenter Rousseau en nous faisant aimer Jean-Jacques.
« La vie ne serait-elle que déception ? », s’interroge l’auteur. Mais lequel ? L’un fait écho à l’autre. La mélancolie accompagne la fragilité de Rousseau. Pour Lionel Bourg, elle est une piste, un lieu de rencontre. « Le regret de n’être que soi », c’est aussi cela La Croisée des errances. Avec l’auteur des Confessions, l’écriture eut ontologiquement à voir avec la sincérité. Une aventure de vie singulière et douloureuse qui ne pouvait laisser indifférent Lionel Bourg l’écorché.
Alors son livre sur Rousseau est bourré de tendresse, d’anecdotes sensuelles et de drôlerie. Car autant que Madame de Larnage, qui fit découvrir l’amour « le plus charnel » à Jean-Jacques, l’auteur s’y entend en agaceries – tout au moins littéraires… À sa manière, c’est vrai, il nous apprend le plaisir. Celui d’accompagner Rousseau par monts et par vaux. Le long de la Saône, pour une nuit étoilée sous la voûte du ciel, à la Jasserie du Pilat, pour un magnifique repas d’auberge, dans la douce maison des Charmettes, où sont palpables encore quelques traces de bonheur… Un Rousseau intime, deux promeneurs solitaires.
Lionel Bourg
La Croisée des errances
Jean-Jacques Rousseau entre fleuve et montagnes
Dessins de Géraldine Kosiak
La Fosse aux ours, 2012
182 p., 16 €
ISBN 978-2-35707-026-4