Reprenant les précédentes commémorations Rousseau depuis la fin du XIXe siècle, François Jacob a rappelé qu’un tel événement se distinguait par sa capacité à générer un nouvel appareil scientifique, promettant un discours accessible à un large public. Outre la nouvelle édition chronologique de ses œuvres, dont les 35 volumes paraîtront aux Éditions Classiques Garnier entre 2011 et 2018, on peut ainsi compter sur les centres de recherche de Lyon 2 et de Grenoble 3, qui ont constitué un « groupe Rousseau », ainsi que sur les sociétés savantes. Autre caractéristique d’une commémoration, la présence d’un ensemble de déclinaisons artistiques, entre arts vivants et patrimoine, cinéma, musique et littérature… Pour Rousseau, à la fois écrivain, philosophe, musicien, pédagogue…, la diversité est une première évidence.

Mais ce n’est pas une raison pour affadir Rousseau, s’est empressé d’ajouter Jean-François Perrin, dans son intervention, « Je ne suis pas un livrier : Rousseau et l’expérience littéraire ». L’universitaire grenoblois a en effet rappelé toute la radicalité et toute l’originalité de la pensée de Jean-Jacques Rousseau, son pessimisme à l’égard de l’humanité et de la culture, sa passion de la liberté et sa conception aristocratique de l’écrivain, bien loin des « faiseurs de livres » et des « professionnels » de la culture… Un paradoxe à méditer dans le cadre de cette commémoration ! Et ce n’est pas le seul, puisque le philosophe Bruno Bernardi, dans son intervention consacrée au « Contrat social : une lecture pour aujourd’hui », a lui aussi attiré l’attention sur un certain nombre d’autres contradictions, plus philosophiques et plus politiques celles-ci, entre l’homme, l’œuvre et ce que nous y cherchons aujourd’hui.

Mais qu’y cherchons-nous ? Ou plutôt qui cherchons-nous ? Quel Rousseau ? L’écrivain Lionel Bourg nous a répondu : le sien, c’est-à-dire « Jean-Jacques… » Grâce à une bourse d’écriture de la Région basée sur des résidences itinérantes, Lionel Bourg a fait part des prémices de son travail, qui le conduira à mettre ses pas dans ceux du penseur, philosophe, botaniste…, en différents lieux de Rhône-Alpes. Une façon d’approcher Rousseau par la voie sensible – avec en perspective une publication que l’on attend déjà impatiemment –, mais aussi de réfléchir aux rapports que nous entretenons avec ce penseur et les « grands hommes ». « …Je ne puis guère évoquer ce drôle de paroissien sans me figurer à grands traits les dehors, le caractère, l'allure même, humble, extravagante, l'humeur de chien, la gentillesse comme la proximité çà et là conflictuelle d'un véritable compagnon », écrit Lionel Bourg, qui s’apprête donc à cheminer longuement aux côtés de « Jean-Jacques ».

Pour les acteurs culturels et les meneurs de projets, nul doute que, lorsqu’il s’agit de Rousseau, ce « compagnonnage » n’est pas un vain mot. On en a eu plusieurs exemples ce 28 juin, lorsque Éliane Baracetti, responsable pour la Région de la mission Rousseau 2012, Abraham Bengio, Isabelle Chardonnier et François Jacob ont donné un aperçu des différents chantiers culturels et scientifiques qui s’ouvrent dans la perspective du tricentenaire. Les projets sont multiples et mettent en valeur la dimension territoriale de la commémoration – activement soutenue par la Direction régionale des affaires culturelles à travers les propos de Gilles Lacroix –, tout autant que l’incontournable travail en réseau.

Entre les projets des Charmettes à Chambéry, qui sera le lieu d’ouverture de l’année Rousseau, ceux de Genève et de la Bourgogne, les initiatives pédagogiques des Académies de Lyon et de Grenoble, mais aussi l’œuvre musicale commandée au compositeur Philippe Hersant, avec à la clé une création signée Bernard Tétu pour l’orchestre et Jean Lacornerie pour la mise en scène, sans oublier une grande exposition patrimoniale « Sur les traces de Jean-Jacques Rousseau » à la Bibliothèque municipale de Lyon, en collaboration avec les établissements des huit villes-centres de Rhône-Alpes (et extension virtuelle sur Lectura.fr), les multiples spectacles des arts de la rue (et que vivent les détournements historiques de la compagnie Délices Dada… !), et tous les autres projets ici et là, présents et encore à venir, le sommaire de Rousseau 2012 promet d’ores et déjà d’être riche.
Rousseau, un thème fédérateur ? Oui, mais pas du tout consensuel…

Laurent Bonzon